Addictions

Addictions

J’aime bien raconter l’histoire de l’addictologie aux étudiants, sa genèse en tant que nouvelle discipline, ses ravages au niveau de la santé, individuelle et de la santé publique, au niveau collectif.

Pour les addicts, dans les années quatre-vingt-dix, c’était le clanisme, d’un côté les alcoolos, de l’autre les toxicos, parfois un mixte des deux. L’acceptabilité sociale pour les premiers est plus favorable, le produit est licite et même fait partie de notre culture ; pour les seconds, c’est plutôt le rebut, ce qui dérange, on ne préfère pas y être confronté. La peur d’être infecté par les méchants virus (VIH et hépatites), d’être dévalisé pour trouver de l’argent, des médicaments à détourner de leur usage, d’être violenté si on ne cède pas aux exigences.

Au niveau des définitions, l’addiction se caractérise par[i] l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives.

Les effets recherchés des substances psychoactives sont variés : stimulants, hallucinogènes, sédatifs, anxiolytiques, myorelaxants…

Dans les années 2000, on a inclus la dépendance au tabagisme dans les addictions puis les addictions comportementales et créé véritablement le concept d’addictologie.

Et on s’est rendu compte qu’on était tous, plus ou moins accros, à des substances et aussi à des comportements : les écrans et la cyberaddiction, les jeux (d’argent et vidéo), l’achat impulsif, les troubles du comportement alimentaires (anorexie, boulimie, sélectivité alimentaire telle le sucre, le chocolat), le sexe (avec ou sans produit), le sport, le travail…

Nous avons pour la plupart un craving, un désir compulsif, pour une substance ou un comportement, parfois plusieurs. Évidemment, il existe une graduation, il faut distinguer l’usage simple, à risque et nocif (l’abus), la dépendance liée aux facteurs des vulnérabilités personnelles et environnementales.

  • Que disait le pape du centre hospitalier de Marmottan en 1973, le Dr Claude Olievenstein ?

« La toxicomanie (l’addictologie) est la rencontre d’un produit (et/ou d’un comportement), d’une personnalité et d’un moment (d’un contexte) socioculturel ».

L’étiologie est multifactorielle et épigénétique.

Ce désir obsédant nous met en mouvement jusqu’à ce que nous soyons rassasiés, comblés, apaisés. Le circuit de la récompense[ii] nous guide, nous sommes accros aux neuromédiateurs, au plaisir créé par la soupe neurochimique de notre cerveau, notamment par les voies dopaminergiques du plaisir et lors du manque, de la souffrance ! Les drogues viennent se greffer sur les voies du plaisir, ce sont de véritables leurres pharmacologiques, elles prennent la place des neuromédiateurs naturels[iii].

  • Quels sont les liens de l’addiction avec la santé mentale, comorbidités appelées aussi pathologies duelles ?

Les troubles mentaux peuvent entrainer une vulnérabilité à de multiples addictions.

Par la recherche de béquille. Ainsi une substance ou un comportement peuvent être utilisés pour faire face aux symptômes des troubles psychologiques ou psychiatriques (personnalité, psychopathologie), dans une tentative autothérapeutique.

Pour combattre les sensations et symptômes d’inhibition, d’anxiété, de vide, de tremblements, de dépression, de solitude, d’ennui, d’intolérance à la frustration, de stimulant…  

La dépendance peut être là pour affronter d’autres facteurs de risque, le stress socioéconomique, les difficultés familiales, etc.

Mais la présence d’addictions, surtout multiples, peut être une cause directe de trouble mental.

Les conséquences sur le système nerveux, les fonctions cognitives sont flagrantes, entrainant une déperdition neuronale et pouvant aller jusqu’à une encéphalopathie toxique.

― Alors qui de l’œuf ou de la poule ?

Un patient déprimé qui noie son chagrin dans l’alcool. Le fumeur qui a besoin de sa clope pour se calmer ou de son joint de cannabis, la personne TDAH[iv] qui demande à la cocaïne de l’apaiser (effet paradoxal), mais aussi celle qui a besoin d’être boostée et qui va la prendre pour s’exciter (effet normal) !

L’ennui, le manque de perspective, combler un manque affectif, réguler un état impulsif, chacun cherche de quoi s’équilibrer ou bien au contraire d’éprouver des sensations pour savoir que l’on est en vie, chercher ses limites (les conduites ordaliques des extrêmes).

Certains de ces troubles addictifs comportementaux, relèveraient de la dérégulation d’un usage, seraient la manifestation du trouble mental en lui-même, expliquant ainsi les sévérités de ces manifestations si fortement associées.

Le comportement de l’addict est figé, sclérosé, avec les mêmes rituels, les mêmes réflexes conditionnés. Dans les phénomènes de dépendance, la neuroplastie cérébrale et la neurogénèse sont en berne. Il s’agit de tout remettre en mouvement.

C’est pour pouvoir soigner ses patients que je me suis intéressée à l’hypnose médicale.

Je voulais trouver une thérapie alternative non allopathique et autre que les thérapies cognitives et comportementales usuelles, je souhaitais parler à l’inconscient.

Cependant, il faut être humble lorsque l’on soigne une personne addict, car les résultats ne sont souvent pas à la hauteur de l’énergie et du temps déployés par le soignant, ni parfois par le patient. Cette impuissance est frustrante, on avance à très petits pas, nombreuses sont les rechutes. Parfois en thérapie, on arrive à un sevrage d’une substance puis on s’aperçoit que la dépendance se déplace sur un autre produit ou comportement. Il faut sortir du cercle[v] à son rythme ou réduire les risques délétères a minima de la dépendance. Au niveau historique, le dogme du sevrage absolu est tombé, faisant plus de place à la réduction des risques et des dommages, mieux vaut réduire sa consommation et prévenir les risques plutôt que se heurter à un refus du patient à l’arrêter, à se soigner, à se prendre en charge.

On travaille de concert en multidisciplinarité pour avoir une approche globale et mieux appréhender la vie de la personne dans toutes ses composantes. Le thérapeute ne doit pas avoir d’égo, il n’est pas responsable du résultat, il doit donner les moyens, les outils, accompagner le patient à être acteur de sa vie, à développer son assertivité.

Tout dépend du bon timing, de la maturité du patient à s’engager dans cette voie, est-il encore dans le déni, quel est son niveau de motivation[vi] ?

J’ai participé à de nombreux congrès en tant que conférencière, à des enseignements, à diverses réunions avec les familles, les associations, les instances sanitaires pour faire évoluer les mentalités, éviter la stigmatisation de ces personnes dépendantes et malades.

Cela peut tous nous toucher, bien que certains ne s’identifieront pas à l’héroïnomane crasseux qui meurt d’une overdose en se piquant, mais les addictions comportementales peuvent être aussi délétères.

Il paraitrait que la masturbation devant des films pornographiques pendant des heures est en passe de devenir une des addictions majeures au vingt et unième siècle !

Les addictions. Extrait tiré de « Rebirth. L’invitation au voyage »

[i] Critères de Goodman en 1990

[ii] Dans le cerveau : aire tegmentaire ventrale, aire mésolimbique amygdale, noyau accubens                      

[iii] Le désir de récompense en lien avec la dysrégulation dopamine et opioïdes. Le craving de soulagement pour les patients réactifs au stress, sensibles avec la dysrégulation du gaba et du glutamate, le craving « obsessionnel » avec des compulsions avec pensées intrusives à propos de la prise du produit ou du comportement en lien avec la dysrégulation de la sérotonine.

[iv] TDAH : trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité

[v] Cercle de Prochaska DiClemente. En 1982 Prochaska et DiClemente publient leur étude sur le changement avec leur modèle « transthéorique ».

[vi] Réalisation d’entretiens motivationnels

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